Percer ou ne pas percer, telle est la question

Percer ou ne pas percer, telle est la question

21 juin 2011

Être bien informé est la meilleure police d’assurance
 
Par Richard Haber, M.D
 
Récemment, on m’a demandé ce que je pensais de l’art corporel. La mère d’une jeune adolescente voulait savoir si c’était sécuritaire ou non. Elle désirait en savoir plus sur les complications possibles.
 
C’est une excellente question qui soulève certains points intéressants. Il est clair que le perçage corporel et les tatouages sont maintenant bien répandus dans notre culture, et de plus en plus acceptés par la population en général. Les tatouages et les perçages existent depuis fort longtemps dans de nombreuses cultures; il existe même des témoignages archéologiques de l’art corporel qui remontent aussi loin que 60 000 ans avant J. C. En Europe, la pratique de cet art a disparu au 17e siècle, pour renaître au 18e siècle chez les navigateurs qui se faisaient souvent percer une oreille pour y mettre une boucle. Comme on attribuait généralement à ces gens des comportements inacceptables (alcoolisme, bagarres, débauche, etc.), on a commencé à associer le perçage aux criminels et aux personnages à la moralité douteuse. Avec l’essor du mouvement punk dans les années 1970 et 1980, l’art corporel est devenu populaire dans la culture occidentale et assez acceptable socialement. Après le perçage des oreilles, il est devenu de plus en plus courant de voir des perçages dans d’autres régions du corps, comme les sourcils, la glabelle, la cloison nasale, la narine, les lèvres, la langue, le visage, le nombril ainsi que les organes génitaux. Quand on parle de perçage, il y a souvent plus d’un site en jeu.
 
COMPORTEMENT RISQUÉ
 
Chez les adolescents, on a associé les perçages et les tatouages à des comportements risqués. Une étude a étudié 484 adolescents âgés de 12 à 22 ans d’une clinique pour adolescents en Californie. De ce nombre, 13,2 % avaient des tatouages, et 5,25 % en avait plus d’un; 26,9 % avaient des perçages (outre les perçages du lobe de l’oreille); et 11,8 % avaient plus d’un perçage. Le cartilage de l’oreille est le site de perçage le plus courant (à part le lobe) avec 13,6 %; la bouche et la langue suivent avec 11,2 %, le nombril avec 10,7 %, le mamelon avec 1,2 % et les organes génitaux avec 0,8 %. Les adolescents qui avaient des tatouages ou des perçages étaient plus susceptibles d’avoir : 1) des comportements chaotiques en matière d’alimentation, de consommation d’alcool, d’usage de marijuana et de drogues dures; 2) des scores plus élevés sur l’indice de comportements sexuels, qui évalue l’âge de la première relation, le nombre de partenaires et l’usage de moyens de contraception; et 3) des taux de suicide plus élevés.
 
COMPLICATIONS MÉDICALES
 
Outre les aspects comportementaux liés à l’art corporel, il existe de réelles complications médicales rattachées à cette pratique. Les complications incluent des infections comme l’hépatite B et C, le VIH, et les infections au staphylocoque et au pseudomonas. De plus, dépendant de la partie du corps qui est percée, on peut observer des complications comme un saignement, la formation de kystes et des problèmes dentaires. Quand on parle d’un perçage de la partie molle de l’oreille, les complications qui y sont associées incluent l’infection, le saignement, les cicatrices chéloïdes et la formation de kystes. Les régions du nez et des oreilles qui sont percées peuvent être infectées par le pseudomonas, ce qui peut entraîner une nécrose du cartilage, puis une malformation.
 
Par ailleurs, la dermatite de contact n’est pas rare, en particulier avec les boucles d’oreilles en nickel; mais elle peut aussi apparaître avec des boucles d’oreilles en or. En général, ces réactions sont bénignes, mais il arrive qu’elles soient plus graves et qu’elles causent des maladies comme une endocardite bactérienne (infection du coeur). Une étude a rapporté un taux de complication de 30 % pour le seul perçage d’oreilles, l’infection bénigne étant la plus fréquente, suivie de la réaction allergique. Si la partie cartilagineuse de l’oreille est percée, il peut y avoir destruction du cartilage; on peut le réparer, mais il faut alors recourir à une chirurgie plastique. Les CDC (Centers for Disease Control and Prevention) proposent une série de directives à respecter afin d’éviter les complications infectieuses dues au perçage et au tatouage (http://www.cdc.gov/Features/Body/Art).
 
Avant d’envisager un perçage, il serait sage de vacciner les patients contre l’hépatite B. De plus, peu importe l’âge de la personne, le perçage doit se faire uniquement dans un endroit où l’on utilise des techniques aseptisées (voir les directives des CDC). Si votre patient ne peut pas avoir l’assurance que ces directives sont respectées, il devrait éviter cet endroit et en chercher un qui les respecte.
 
CONSENTEMENT MUTUEL
 
À quel âge convient-il de faire percer les oreilles d’un enfant? Il n’y a pas de réponse simple à cette question, mais comme il s’agit d’une intervention de nature esthétique, pourquoi ne pas attendre que l’enfant soit en âge d’exprimer son opinion sur la question et de donner un consentement éclairé? Dans le cas des adolescents, c’est une autre histoire; la pression des pairs leur fait souvent prendre des décisions rapides, avant même que les parents aient le temps de discuter d’art corporel avec eux. Par malheur, une de mes patientes adolescentes s’est fait faire il y a quelques années un gros tatouage sans en parler à ses parents. Aujourd’hui, elle voudrait bien le faire disparaître, mais ça ne pourra pas se faire sans laisser une cicatrice. Des adolescents plus âgés et de jeunes adultes qui ont à passer des entrevues ont avoué qu’ils souhaiteraient ne pas avoir un tatouage trop évident, qui amène l’intervieweur à se former une opinion peu flatteuse de leur demande, même si ce n’est pas justifiable.
 
L’art corporel fait partie de l’histoire depuis des siècles et il ne disparaîtra pas, mais il faut faire preuve de prudence à son égard, en particulier avec les enfants et les adolescents qui ne sont pas toujours en mesure de donner un consentement parfaitement éclairé. Il est aussi indispensable que l’art corporel soit pratiqué dans un établissement digne de confiance qui se conforme aux directives des CDC ou à des directives similaires.

 

Richard Haber, M.D., FAAP et FRCPC, est professeur agrégé de pédiatrie à l’Université McGill et directeur du Centre de consultation pédiatrique à L’Hôpital de Montréal pour enfants.

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