Dépêches du Dr Sherif Emil en provenance du Rwanda : Reconnaissance
7 Décembre 2013
J’ai terminé mes activités chirurgicales à Kigali de la même façon que je les ai commencées, c’est-à-dire en essayant de sauver un autre bébé qui avait tout contre lui.
Dernière dépêche
J’ai terminé mes activités chirurgicales à Kigali de la même façon que je les ai commencées, c’est-à-dire en essayant de sauver un autre bébé qui avait tout contre lui. Mercredi matin, à 48 heures de la fin de ma mission, j’ai reçu un appel d’un chirurgien américain travaillant dans un autre hôpital universitaire rwandais à Butare, située à 2 heures de Kigali. Il avait devant lui un bébé de 2 semaines présentant une occlusion intestinale, et il avait entendu ses collègues dire qu’un chirurgien pédiatre de McGill était en visite à Kigali. Est-ce que j’accepterais de faire le voyage jusqu’à Butare pour opérer ce bébé? Malheureusement, ce n’était pas possible, puisque j’avais six opérations prévues le jeudi et le vendredi. Je lui ai demandé de nous transférer le bébé.
Quand je reçois un appel du nord du Québec au sujet d’un patient aux prises avec un problème chirurgical, je demande tout simplement au médecin de transférer l’enfant, et ça se fait. Au Rwanda, transférer un bébé d’un hôpital à un autre, ça signifie devoir écarter plusieurs obstacles sociaux, logistiques et financiers. Rudolph, le chirurgien de Butare, était prêt à tous les écarter, et j’ai aidé de mon côté à faciliter le transfert. Le bébé est arrivé dans notre hôpital jeudi en milieu d’après-midi. Sans surprise, nous avions encore une fois devant nous un bébé émacié et instable qui n’avait pas été alimenté depuis deux semaines, mais avait survécu miraculeusement. D’importantes mesures de réanimation et de préparation étaient nécessaires pour qu’il puisse subir une intervention chirurgicale.
Nous avons fait ce qu’il fallait. Le vendredi matin, ma dernière journée à Kigali, je suis arrivé à l’hôpital à 7 h dans l’espoir d’opérer le bébé à 8 h, avant le premier cas prévu. À ma grande surprise, toute la salle d’opération était en attente. L’hôpital était sans eau courante depuis la nuit précédente, empêchant la stérilisation des instruments. On nous a dit que la salle d’opération pourrait reprendre ses activités régulières autour de 10 h quand la stérilisation des instruments serait terminée. J’ai donc fait ma tournée, visitant pour une dernière fois plusieurs des patients que j’avais opérés pendant mon séjour, et laissant des recommandations claires pour les soins postopératoires. Puis le temps a passé… 10 h, 11 h, 12 h et 13 h, et il n’y avait toujours pas d’eau. Je devais partir à 16 h pour attraper mon avion. Je ne pouvais me résoudre à accepter la situation ironique voulant qu’un enfant ait été transféré spécialement pour être opéré par le seul chirurgien pédiatre présent au Rwanda ce jour-là et rate sa chance en raison d’un manque d’eau.
Finalement, un jeu d’instruments est arrivé après avoir été stérilisé dans un autre établissement, et nous avons commencé l’opération à 14 h. Ça s’est bien passé. Nous avons pu réparer l’occlusion, et introduire un tube d’alimentation qui devrait permettre à l’enfant d’ingérer pour la première fois des calories dès le lendemain. Je prie pour qu’il y arrive.
Assis à l’aéroport de Bruxelles en attendant de monter à bord de mon avion pour Montréal, je pense à ce bébé, aux 19 autres enfants que j’ai opérés au cours des deux dernières semaines et aux douzaines d’autres que j’ai vus pendant mon séjour. Je pense à ceux qui sont décédés alors qu’ils auraient dû survivre, et à ceux qui ont survécu malgré toutes les embûches, incluant deux bébés ressemblant fort à mon dernier patient. Je me demande qui d’autre est arrivé à l’hôpital ces dernières heures depuis que j’ai quitté Kigali, et comment ils vont s’en sortir. En regardant les gens qui m’entourent, j’imagine à quel point ces conditions doivent leur sembler lointaines, à quel point des soins de santé adéquats pour eux et leurs enfants sont tenus pour acquis. Le Rwanda n’est qu’à quelques heures derrière moi, mais j’ai l’impression d’être à des années-lumière.
Et puis, je pense à ma fille, et à l’anxiété que ma femme et moi éprouvons quand elle a des ennuis de santé relativement bénins. Et je me rappelle de la chance que nous avons.
À mon retour à Montréal, je vais laisser retomber la poussière sur mon expérience des deux dernières semaines. Puis, je prendrai le temps de réfléchir un peu plus en détail à ma mission au Rwanda, comme une sorte de débriefing personnel. Mais, alors que je suis assis ici, séparé de ma famille par l’océan Atlantique, je prends la résolution de faire deux choses très importantes à mon arrivée. D’abord, je vais prendre ma femme et ma fille dans mes bras et les serrer contre mon cœur comme jamais auparavant. Ensuite, nous allons tous nous agenouiller et remercier le Seigneur de tout ce que nous avons.
LeDr Sherif Emil est chirurgien pédiatre et directeur du département de chirurgie pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Son voyage au Rwanda fait partie du programme de McGill pour former les résidents en chirurgie de l’Université nationale du Rwanda et du Centre hospitalier universitaire Kigali.