Mettre la recherche en pratique
23 mars 2016
Il y a deux ans, la Dre Nada Jabado, hémato-oncologue à l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME) et chercheuse au sein du programme en santé de l’enfant et en développement humain à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM), a approché le Dr Jean-Pierre Farmer, neurochirurgien et chirurgien en chef à l’HME, à propos d’une découverte prometteuse pour traiter les tumeurs au cerveau. Elle explique alors qu’une mutation — appelée BRAF V600E — présente dans un certain type de mélanome est la même que celle qui est présente dans un sous-ensemble de tumeurs cérébrales connues sous le nom de « gangliogliomes ». Qui plus est, il existe des traitements médicamenteux à base d’inhibiteurs ciblés dont le succès clinique a été démontré sur les mélanomes. La Dre Jabado propose donc que ces mêmes traitements soient utilisés pour cibler les gangliogliomes porteurs de cette mutation particulière.
Au Québec, les deux premiers patients à avoir pris un de ces médicaments sont une fillette et un adolescent, tous deux diagnostiqués à l’HME, qui avaient des tumeurs qui ne pouvaient être enlevés entièrement par une intervention chirurgicale. Ils avaient été soumis à plusieurs traitements, dont la radiothérapie, sans succès, mais un mois après le début du traitement ciblé, la taille de leurs tumeurs avait diminué. Le résultat positif de leur traitement a pavé la voie à un autre patient l’automne dernier.
Une douleur au bras qui révèle un grave problème
Karl, 7 ans, est un jeune garçon brillant au grand sourire et au sens de l’humour espiègle. En août dernier, lors d’un court séjour dans les Laurentides avec ses parents Marc et Josée pour voir de la famille, il a commencé à avoir mal au bras. Comme il s’était amusé sur les balançoires dans le parc, ses parents ont pensé qu’il s’était étiré un muscle. Karl n’a pas bien dormi cette nuit-là, mais le lendemain, il allait bien. La nuit suivante, il a de nouveau mal dormi. Ses parents ont décidé de l’amener à l’hôpital local où on leur a remis une demande de consultation en orthopédie à l’Hôpital de Montréal pour enfants, pour une possible lésion du plexus brachial. L’examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) du plexus de Karl a rapidement révélé la présence d’une tumeur. En quelques heures, Karl était vu par le Dr Farmer, qui a expliqué à Marc et Josée que la tumeur était située au niveau du tronc cérébral et de la moelle épinière.
Confirmer le diagnostic
Le Dr Farmer pensait que la tumeur de Karl était un gangliogliome, mais le seul moyen de confirmer le diagnostic était de faire une biopsie. Les gangliogliomes sont des tumeurs de faible grade que l’on observe le plus souvent dans le cerveau. En grossissant, ce type de tumeur peut provoquer des symptômes, comme des crises d’épilepsie, de la fatigue ou une faiblesse sur un côté du corps.
Le processus de traitement inclut souvent une opération pour enlever la tumeur, mais il n’est pas toujours possible de l’enlever entièrement si elle est trop près de zones fonctionnelles importantes du cerveau. Mais si la tumeur n’est pas retirée entièrement, elle continuera à grossir. En fait, même après une opération, la tumeur peut revenir. « L’opération aurait exigé une longue incision qui aurait pu déstabiliser la colonne cervicale de Karl, explique le Dr Farmer, et les chances de résection complète étaient minces en raison de l’emplacement de la tumeur dans le tronc cérébral et la moelle épinière. Nous devons toujours chercher ce qui est le mieux pour le patient. Dans le cas de Karl, il était préférable de pratiquer une biopsie pour confirmer le diagnostic et la mutation. Toutefois, si la biopsie n’avait pas permis de confirmer la mutation, Karl et sa famille auraient eu à faire face à une opération beaucoup plus délicate quelques semaines plus tard. Mais finalement, Karl s’est révélé être un candidat idéal pour le traitement médicamenteux. »
Commencer le traitement
Deux semaines après la biopsie, Karl et ses parents ont rencontré la Dre Jabado, qui reçoit des patients à l’HME en plus de poursuivre ses travaux à l’Institut de recherche. « Dre Jabado a expliqué comment le médicament pouvait faire diminuer la tumeur de Karl, raconte Josée. Au début, j’avais peur de donner à Karl sa médication à la maison, mais une fois la première journée passée, j’ai vu que Karl allait bien le tolérer. »
« La mutation BRAF, commune au mélanome et à un sous-ensemble de gangliogliomes, a ouvert la voie à l’utilisation du traitement médicamenteux chez les enfants présentant ce type de gangliogliomes, dit la Dre Jabado. Pour Karl, et tous les enfants qui sont de bons candidats au traitement, la possibilité d’offrir une option qui soit efficace et présente un minimum d’effets secondaires est très prometteuse. »
Un dénouement heureux
La tumeur de Karl a bien répondu au traitement. Trois semaines après le début du traitement, la tumeur avait diminué de 50 % et Karl avait retrouvé l’usage de sa main droite. Lors de son troisième examen d’IRM en novembre, la taille de la tumeur avait diminué de 75 %. Karl et ses parents viennent maintenant à l’HME tous les mois pour un bilan. La tumeur est stable et n’a plus bougé ; dans un avenir prévisible, Karl continuera donc ce traitement.
L’utilisation du traitement médicamenteux a permis à Karl de se rétablir plus rapidement et possiblement de préserver sa main droite. Tout autre traitement aurait demandé beaucoup plus de temps pour être efficace, s’il l’avait été. « C’est la réponse rapide chez les deux autres patients que nous avons traités et les résultats obtenus sur quelques autres enfants aux États-Unis qui nous ont amenés à offrir cette option thérapeutique, précise la Dre Jabado. De plus, pour Karl, cette option est synonyme de meilleure qualité de vie, puisqu’il suffit de prendre un comprimé par voie orale, sans recours à une perfusion ou un séjour à l’hôpital. »
Le Dr Farmer ajoute que le dévouement d’un si grand nombre de personnes au sein de l’équipe a joué un rôle de premier plan dans le rétablissement de Karl. « Il y a eu un énorme changement en quelques semaines à peine, dit Josée. Le rétablissement de Karl a été rapide, et il a pu reprendre le chemin de l’école très rapidement. Nous sommes très reconnaissants que ce traitement lui ait été offert. Et nous sommes encore plus reconnaissants d’avoir pu compter sur Dre Jabado et Dr Farmer pour s’occuper de lui. »