Quand les enfants broient du noir

Quand les enfants broient du noir

23 août 2010

Par Richard Haber, M.D.
 
Les médecins de premier recours sont aux premières loges lorsqu’il est question de problèmes de santé mentale chez les enfants et les adolescents. Avec une population de patients foisonnante et toujours moins de pédopsychiatres pour les aider, ces médecins sont de plus en plus sollicités pour diagnostiquer et traiter ces maladies, malgré le manque de formation reconnue.
 
Penchons-nous d’abord sur la portée du problème. La Dre Amy Cheung a fait état des taux de dépression et de propension au suicide (idées suicidaires ou tentatives de suicide) chez les adolescents de 15 à 18 ans selon les données de Statistique Canada1. La population totale étudiée comptait 38 500 individus, dont 2 866 étaient des adolescents âgés de 15 à 18 ans. Le diagnostic de dépression majeure était basé sur une entrevue structurée reposant sur les critères du DSM-IV (voir le tableau 1). Dre Cheung a estimé la prévalence à vie de la dépression majeure à 7,6 % pour les adolescentes et à 4,3 % pour les adolescents. Le taux de propension au suicide était de 13,5 % globalement, soit 8,8 % chez les adolescents et 18,4 % chez les adolescentes2. Curieusement, seulement 50 % des adolescents qui se suicident avaient été diagnostiqués comme dépressifs3.
 
Génération perdue
 
Cette enquête ne nous informe pas sur la prévalence des formes plus légères de dépression au sein de cette population. Dans la province de Québec, le suicide est la deuxième plus importante cause de décès chez les adolescents après les accidents. Farand et coll. ont montré que 78 % des adolescents québécois qui s’étaient suicidés avaient eu recours à des services médicaux au cours de l’année précédant leur suicide. Cependant, seulement 12 % de ces adolescents ont reçu des services pour des problèmes psychiatriques, et seulement 9,9 % ont rencontré un psychiatre (population étudiée = 435 suicides chez les moins de 19 ans sur une période de 5 ans, de 1992 à 1996), ce qui indique que la dépression n’avait pas été dépistée lors de la rencontre avec le professionnel de la santé4. En clair, nous devons faire mieux pour identifier et soigner ces enfants.
 
Que peuvent faire les médecins de premier recours? Un dépistage précoce et une intervention rapide constituent la clé. Une bonne revue des antécédents cliniques est idéalement accompagnée d’un questionnaire basé sur les critères DSM-IV de la dépression. Il existe plusieurs outils de dépistage, dont le questionnaire de comportement d’Achenbach, l’échelle de dépression de Columbia, les questionnaires PSC et CAPS, et l’inventaire de dépression de Beck. Je vous recommande de consulter le site Web de la Société canadienne de pédiatrie (SCP) au www.cps.ca, à la rubrique de santé mentale traitant d’outils de dépistage et d’échelles d’évaluation.
 
Le groupe de travail en santé mentale de la SCP a passé en revue plusieurs de ces outils de dépistage pour les pédiatres et les médecins de famille. Sur la liste de la SCP, on retrouve le site Web où les outils peuvent être téléchargés ainsi que des commentaires sur l’utilité de chacun pour des problèmes spécifiques. Pour une analyse approfondie de ces différents outils d’évaluation, consultez la revue de Brooks et Kutcher5. La trousse GLAD-PC (lignes directrices portant sur la dépression chez les adolescents dans le milieu des soins primaires) est un autre outil utile pour le médecin. Cette trousse et ses recommandations sont le résultat d’un groupe de travail réunissant des spécialistes du Center for the Advancement of Children’s Mental Health de l’Université Columbia, du Centre des sciences de la santé Sunnybrook de l’Université de Toronto, du New York Forum for Child Health et de l’American Academy of Pediatrics. Vous pouvez télécharger gratuitement la trousse au www.glad-pc.org.
 
La contribution de GLAD
 
En se basant sur les preuves existantes, la coalition GLAD a fait les recommandations suivantes au sujet de l’identification des jeunes à risque : « Les patients qui présentent des facteurs de risque de dépression (épisodes antérieurs de dépression, antécédents familiaux, autres troubles psychiatriques, toxicomanie, traumatismes, adversité psychosociale) doivent être identifiés et suivis systématiquement au fil du temps pour déceler l’apparition d’un trouble dépressif (importance de la recommandation : très élevée) »3.
 
Voici la recommandation du groupe de travail concernant le diagnostic : « Les médecins de premier recours doivent évaluer la dépression chez les adolescents à haut risque et chez les adolescents qui consultent en raison d’un problème émotionnel. Les médecins doivent évaluer les symptômes de dépression sur la base des critères diagnostiques établis dans le DSM-IV… et doivent utiliser les outils standard d’évaluation de la dépression pour poser leur diagnostic (preuve de catégorie A; importance de la recommandation : très élevée) »3.
 
Il est important d’évaluer les pensées ou les intentions suicidaires, et la 4e recommandation du groupe de travail suggère d’établir un plan de sécurité si l’état de l’adolescent se détériore; ce plan inclut une ligne d’urgence de type 911 pour l’adolescent et la famille. Le groupe de travail recommande aussi d’interroger les parents et les enseignements pour aider à établir le diagnostic.
 
Petit pas par petit pas
 
Une fois que le diagnostic est posé, la prise en charge initiale consiste à surveiller et à soutenir l’adolescent et sa famille. Le médecin généraliste peut éduquer le patient et la famille, et élaborer un plan de traitement avec des objectifs précis. Par exemple, l’adolescent qui refuse de retourner à l’école peut avoir pour objectif de faire un retour progressif en classe, en commençant par un ou deux jours par semaine. Les plans d’action écrits se sont révélés très utiles dans la prise en charge de l’asthme , et par analogie, on croit qu’ils seraient utiles dans le traitement de la dépression. La collaboration de tous les partenaires de vie de l’enfant est importante, soit le médecin de premier recours, la famille et l’école.
 
Vous trouverez dans la trousse GLAD-PC des algorithmes et des graphes d’évolution utiles pour le diagnostic et le traitement de la dépression; je vous les recommande chaudement si vous avez besoin d’une introduction à ce vaste sujet. Dans un prochain article, nous verrons plus en détail les recommandations du groupe de travail GLAD concernant les traitements efficaces.

 

Tableau 1

Critères DSM IV

La présence de 5 des symptômes suivants ou plus au cours d’une même période de 2 semaines est signe de dépression :

1. humeur dépressive une grande partie de la journée, presque chaque jour

2. intérêt et plaisir nettement diminués à l’égard des activités

3. perte de poids importante, diminution de l’appétit

4. trouble du sommeil, insomnie

 

5. agitation

6. perte d’énergie, fatigue

7. sentiment d’inutilité

8. incapacité à se concentrer ou à prendre des décisions

9. idées récurrentes de mort, de suicide

 


Références

1. Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes – Santé mentale et bien-être (cycle 1.2), 2002

2. A. H. Cheung, C. S. Dewa. Healthcare Policy , vol. 2, no 2, 2006, p. 76

3. R. A. Zuckerbrot et coll. Pediatrics, vol. 120, no 5, 2007, p. e1299

4. L. Farand et coll. Canadian Journal of Public Health , vol. 95, no 5, 2004, p. 357

5. S. J. Brooks, S. Kutcher. J of Child and Adolescent Psychopharmacology, vol. 11, no 4, 2001, p. 341

… seulement 50 % des adolescents qui se suicident avaient été diagnostiqués comme dépressifs

Richard Haber, M.D., FAAP et FRCPC, est professeur agrégé de pédiatrie à l’Université McGill et directeur du Centre de consultation pédiatrique à L’Hôpital de Montréal pour enfants.

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