Dépêches du Bénin no 2 : Le prix de la négligence
11 janvier 2017
Opérer un patient d’une hernie inguinale, ça fait partie de la routine pour un chirurgien pédiatre; en fait, c’est l’une des interventions que nous pratiquons le plus souvent. Sauf dans le cas de prématurés de petite taille, l’intervention est très simple dans les pays riches. À l’Hôpital de Montréal pour enfants, nous pouvons traiter six ou sept cas en une seule journée au bloc opératoire.
Ce n’est toutefois pas le cas au Bénin et dans la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne. Là, une hernie est souvent un cas complexe. À cause d’années de négligence et de l’absence d’intervention, ces hernies peuvent devenir aussi grosses qu’un pamplemousse et se transformer en hernies incarcérées chroniques, ou se coincer dans le scrotum. Des patients meurent encore de complications liées à des hernies non traitées. Les taux de récidive sont aussi plus élevés. Cette fois-ci, mon expérience en salle d’opération à bord de l’Africa Mercy a commencé par un de ces cas : une hernie inguinale chez un jeune garçon de 10 ans, hernie qu’il avait depuis l’âge de 3 ans, ou peut-être même avant. C’est une expérience émouvante, même pour un chirurgien pédiatrique qui a pratiqué des centaines d’opérations de ce genre au fil des années.
Sambany est un exemple typique de la négligence et du manque de services chirurgicaux. Cet homme au début de la soixantaine s’est fait enlever une tumeur au cou de plus de 7 kg par des chirurgiens de Mercy Ships lors de la mission à Madagascar. Plus d’une douzaine de membres d’équipage de l’Africa Mercy ont donné de leur sang pour l’aider à passer à travers l’opération. Sa tumeur s’était développée et avait grossi pendant des dizaines d’années. Elle l’avait laissé appauvri et désespéré. C’était une véritable bombe à retardement qui risquait de l’étouffer un jour ou l’autre. L’histoire de son opération a fait les manchettes de la presse internationale en plus de faire l’objet d’un éditorial du New York Times.
Quand j’ai vu la photo de Sambany, une question me revenait sans cesse en tête. Comment cela peut-il arriver? Comment est-ce possible? Ça arrive et c’est possible parce que, depuis trop longtemps, la chirurgie a été considérée comme une branche de luxe de la médecine, et non un problème de santé publique. Les programmes mondiaux en santé se sont concentrés presque exclusivement sur les maladies infectieuses, qui sont bien sûr importantes. Mais, ensemble, le VIH, la tuberculose et la malaria représentent un dixième du fardeau mondial des maladies, tandis qu’un tiers de ce fardeau peut être traité par la chirurgie. À tout moment, 80 millions de personnes dans le monde sont confrontées à une situation financière catastrophique si elles doivent se faire opérer, et 5 milliards de personnes n’ont pas accès à des soins chirurgicaux et anesthésiques sûrs et abordables en temps voulu.
La Commission Lancet, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la santé ont récemment mis le besoin pressant d’investir dans les soins chirurgicaux en tête de liste des priorités des programmes de développement international. Mercy Ships a le mérite d’avoir reconnu ce besoin il y a déjà plus de trente ans, et d’y avoir répondu un patient négligé à la fois. Les patients de l’Africa Mercy ne savent rien des rapports de la Commission Lancet ou de la Banque mondiale. Mais ils savent que des années de négligence sont sur le point de prendre fin quand ils font leur premier pas sur la passerelle du navire.
Légendes photo :
Photo 1 : Sambany avant l’opération.
Photo 2 : Les membres d’équipage de l’Africa Mercy qui ont donné de leur sang pour Sambany.
Photo 3 : Sambany et sa famille après l’opération.
Le docteur Sherif Emil est chirurgien pédiatre et directeur de la division de chirurgie thoracique et de chirurgie générale pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Pendant 2 semaines, il fera partie de l’équipage bénévole de l’Africa Mercy, amarré en ce moment à Cotonou, au Bénin. L’Africa Mercy est le plus grand navire-hôpital civil au monde qui a pour mission d’apporter espoir et guérison aux dizaines de milliers de populations défavorisées dans le monde.
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