Dépêches du Dr Sherif Emil en provenance du Rwanda : Edmond
26 novembre 2013
Quand vous arrivez aux portes du principal hôpital d’enseignement et de soins tertiaires du Rwanda, vous ne pouvez pas manquer l’enseigne géante affichant l’énoncé de mission de l’hôpital, soit le vœu d’offrir une médecine d’avant-garde conforme aux normes internationales.
Dépêche no 2
Quand vous arrivez aux portes du principal hôpital d’enseignement et de soins tertiaires du Rwanda, vous ne pouvez pas manquer l’enseigne géante affichant l’énoncé de mission de l’hôpital, soit le vœu d’offrir une médecine d’avant-garde conforme aux normes internationales. Malheureusement, il s’agit d’un immense mandat pour lequel il n’y a pas de financement. Les intentions sont formidables, mais les ressources sont trop minces et souvent insuffisantes pour couvrir les besoins diagnostiques et thérapeutiques les plus élémentaires.
J’ai passé ma journée avec Edmond Ntaganda, un jeune et énergique chirurgien qui entreprend une carrière en chirurgie pédiatrique et est en voie de devenir le premier chirurgien pédiatre dûment formé du Rwanda. Si les plans d’Edmond se matérialisent, dans 3 ans, ce pays de 12 millions d’habitants aura un chirurgien pédiatre. En environ deux heures de visites et de discussions avec les patients, j’avais déjà rencontré plus de pathologies complexes de la chirurgie pédiatrique que ce que je vois en un ou deux mois à l’HME – anomalies congénitales, occlusions intestinales, tumeurs rénales, hernies inusitées – un musée de pathologies infantiles nécessitant une intervention chirurgicale. Le premier patient que j’ai opéré avec Edmond est un bébé de sept jours, présentant une occlusion intestinale, qui n’avait pas encore été nourri. J’ai rejeté la suspicion de maladie de Hirschsprung après avoir vu les films simples tirés trois jours avant. Le bébé avait besoin d’être opéré immédiatement, mais nous n’arrivions même pas à obtenir les analyses les plus élémentaires – électrolytes, lavement baryté. Nous devions quand même opérer, parce que dans un milieu où la mortalité due à une occlusion intestinale néonatale est de plus de 90 %, ce bébé avait une chance de s’en sortir.
Pendant l’opération, nous avons découvert des atrésies intestinales multiples associées à un intestin court limite. Dans notre hôpital, ça aurait été un cas complexe. En Afrique subsaharienne, le bébé avait besoin d’un miracle pour survivre et j’ai prié sincèrement pour qu’il s’en produise un pendant que je travaillais avec Edmond pour adapter une intervention. Finalement, le bébé a été extubé avec succès et conduit en salle de réveil. La première bataille était gagnée, mais il y en reste bien d’autres à venir.
Alors que je terminais ma journée, j’ai été envahi par un sentiment très fort, à savoir que le Rwanda a de la chance. Le pays a de la chance d’avoir un chirurgien comme Edmond. Pendant les 10 heures que nous avons passées ensemble, il n’a jamais cessé de défendre les droits de chaque patient, de plaider pour avoir des radiographies, de plaider pour réaliser les tests nécessaires, de plaider pour plus de temps en salle d’opération, de plaider en faveur de la reddition de compte. Il sait qu’il tente de déplacer des montagnes, mais il n’arrêtera pas de pousser. J’aime à me voir comme un ardent défenseur des patients. Mais, tout ce que je fais n’est rien en comparaison des efforts et de la ténacité d’Edmond. Il incarne ce qui se fait de meilleur en médecine dans un milieu qui pourrait facilement démoraliser n’importe quel médecin. Je suis venu ici pour enseigner, mais j’ai déjà tellement appris.
Le Dr Sherif Emil est chirurgien pédiatre et directeur du département de chirurgie pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Son voyage au Rwanda fait partie du programme de McGill pour former les résidents en chirurgie de l’Université nationale du Rwanda et du Centre hospitalier universitaire Kigali.