Dépêches du navire-hôpital Africa Mercy : 2020
10 mars 2020
Dakar, Sénégal
4 mars, 23 h 20
Relations
La chirurgie pédiatrique est une petite communauté. Vraiment! Parfois, on a l’impression que chaque chirurgien pédiatrique n’est qu’à quelques degrés de séparation d’un autre ailleurs dans le monde. Et c’est ainsi que j’ai planifié la mission de cette année avec Mercy Ships.
Mon partenaire, le Dr Jean-Martin Laberge, a été invité à prendre la parole à l’Association africaine francophone de chirurgie pédiatrique, où il a rencontré le professeur Aloise Sagna, chirurgien pédiatrique universitaire à Dakar. Aloise avait reçu une bourse de voyage à l’étranger par l’intermédiaire de Chaîne de l’espoir, un organisme belge de renforcement des compétences. Il a décidé d’utiliser cette bourse pour passer six mois avec nous à l’Hôpital de Montréal pour enfants en 2019. Nous sommes devenus amis, et il m’a invité à me rendre au Centre hospitalier national pour enfants Albert Royer à Dakar pour enseigner et opérer avant de monter à bord de l’Africa Mercy.
Il s’avère que le Dr Albert Royer était un pédiatre renommé au Québec. En fait, il a été chef du service de pédiatrie de notre hôpital frère, le CHU Ste-Justine, pendant de nombreuses années. Il avait une passion, celle de fournir des soins aux plus démunis, dont les enfants du Sénégal. C’est pour honorer cet engagement que le Sénégal a donné son nom à son seul hôpital pour enfants. Le Dr Royer est décédé en 2001, l’année où j’ai terminé ma spécialité. Près de 20 ans plus tard, un chirurgien pédiatrique du Québec se retrouve au Sénégal à travailler dans un hôpital fondé par un pédiatre du Québec presque 40 ans auparavant. Une petite communauté.
J’accomplis mon travail par le biais du service de renforcement des compétences médicales de l’Africa Mercy. Les membres du service ont été formidables pour m’aider à remplir ma mission à l’hôpital Albert Royer. Dès notre première visite à l’hôpital, j’ai pu voir qu’ils avaient déjà bâti de solides relations avec le personnel de l’hôpital. Ils approchent tous les gens de l’Albert Royer avec amour et humilité. Ils sont conscients que nous sommes des invités ici au Sénégal, et que nous œuvrons à l’invitation de nos hôtes. Cette attitude n’échappe pas à nos hôtes, qui sont accueillants et généreux. Il règne vraiment ici une atmosphère d’harmonie et de collaboration.
Ma première tâche est de donner un cours de chirurgie pédiatrique pour les stagiaires et le personnel débutant. En plus des étudiants en médecine, le service compte 27 résidents en chirurgie générale et pédiatrique. Même s’ils sont occupés, tous trouvent le temps d’assister au cours, en totalité ou en partie. Ils sont avides de connaissances et endurent poliment des heures de mon français imparfait. Je parle de sujets qui ont une résonnance très différente à Montréal et à Dakar – atrésie de l’œsophage, atrésie intestinale, anomalie de la paroi abdominale et autres. Dans notre pratique, presque tous nos patients survivent à ces anomalies. Au Sénégal, la plupart ne survivent pas. J’adapte mes propos à la réalité et aux défis auxquels font face ces jeunes stagiaires et leurs mentors. J’essaie d’imaginer comment on peut garder sa motivation et son enthousiasme quand on rencontre tant d’échecs au jour le jour – tant de patients qui se présentent trop tard, tant de décès dus au manque de ressources, tant de maladies qui résistent à un traitement juste en raison de l’endroit où l’enfant est né. Je n’arrive pas à imaginer. Je suis vraiment touché par leur résilience et leur persévérance.
Les relations forgées avec les chirurgiens d’aujourd’hui et de demain sont encore plus importantes que le contenu du cours et de la valeur de l’enseignement. Il s’agit là de l’investissement le plus important – forger des relations qui vont nous permettre d’apprendre ensemble, de relever les défis ensemble, de faire une différence ensemble. Des relations qui pourraient permettre à un autre chirurgien de Montréal encore inconnu de revenir à Dakar dans 20 ou 40 ans et peut-être découvrir ce qu’un prédécesseur de la même ville ou du même hôpital a fait pour maintenir intacte la chaîne de l’amitié.