Dépêches du navire-hôpital Africa Mercy no 5 : Il faut un navire de l’espoir
9 mars 2016
8 mars 2016, 18 h 30: Cette journée est la sixième qui suit l’opération de Polly. Elle se porte de mieux en mieux, et est de plus en plus vive ! Elle est l’enfant de sa mère, mais elle est aussi l’enfant de l’Africa Mercy, la preuve vivante du pouvoir de ce navire. (Photo gauche : Polly avant l’opération).
C’est lors d’un voyage de dépistage loin de Tamatave que l’organisme Mercy Ships a repéré cette enfant. J’ai entendu parler d’elle avant mon arrivée sur le navire. Mirjam, coordonnatrice du dépistage, m’a envoyé ses photos dans l’espoir qu’un chirurgien pédiatre puisse l’aider.
J’ai ouvert le fichier dans mon bureau à l’HME et j’ai été saisi d’un sentiment d’incrédulité. Ce bébé avait une rare tumeur appelée « tératome sacro-coccygien », plus grosse que tout ce que j’avais vu dans ma vie. Née en novembre, la petite continuait à grandir et à se développer malgré cette tumeur massive dans son dos, qui faisait environ deux fois la taille de sa tête. J’ai demandé à Mirjam un examen d’imagerie, lequel a été fait par le technicien en radiologie du navire ; les images ont ensuite été envoyées à un groupe de radiologie en Amérique du Nord pour être lues. J’ai reçu le rapport quelques jours avant de partir pour Madagascar. Je n’y ai vu aucune raison de ne pas tenter de retirer la tumeur, qui finirait tôt ou tard par devenir maligne et lui enlever la vie.
Quelques jours plus tard, je me retrouve face à Polly et sa mère. Je passe en revue les examens d’imagerie et examine la petite. Elle est magnifique, et ça fait mal au cœur de voir sa mère qui peine à la tenir contre elle à cause de la tumeur, qui a encore grossi et masque essentiellement ses fesses et le bas de son dos. Mais il demeure possible d’extraire la tumeur. Je discute de l’opération et des éventuelles complications avec la mère de Polly. Mais elle n’a pas de doute ; ce jour, elle l’attend depuis la naissance de sa fille.
L’Africa Mercy fonctionne selon des normes très élevées de responsabilité et d’imputabilité. Le navire n’est pas un hôpital de soins actifs. On n’y gère pas de graves anomalies congénitales pédiatriques si tôt dans la vie, et jamais on n’y a retiré une telle tumeur. C’est pourquoi le cas est examiné par un conseil d’hôpital afin de décider si on va de l’avant ou non. Les principales questions consistent à déterminer si l’opération peut être faite en toute sécurité et si l’enfant court un risque élevé d’en sortir avec des séquelles qu’il ne serait pas possible de traiter une fois le navire parti. Je souligne que cette enfant a déjà prouvé son désir de vivre. Elle a vu le jour par voie vaginale sans qu’il y ait rupture ou hémorragie au site de la tumeur, puis elle a grandi et s’est développée malgré cette tumeur. La décision est prise d’aller de l’avant. Ensemble, avec l’équipe d’anesthésie et de soins infirmiers, nous planifions chaque étape.
Le jour de l’opération, je commence par placer un cathéter veineux central dans une grosse veine qui se jette dans le cœur pour nous faciliter l’accès si nous devions faire face à une hémorragie. Nous progressons lentement et méticuleusement, en y allant un petit pas à la fois. Trois heures plus tard, la tumeur est enlevée, et Polly a été stable pendant tout ce temps. Nous l’extubons et l’envoyons en salle de réveil, où sa mère l’a verra pour la première fois sans cette monstrueuse malformation. (Photo droite : Polly avec sa mère en salle de réveil après l’opération).
Ce soir-là quand je suis allé souper, j’ai compris toute la force qui unit la communauté de l’Africa Mercy. Les serveurs et les cuisiniers, qui n’ont évidemment rien à voir avec le bloc opératoire, m’ont demandé comment l’opération s’était déroulée. Devant mon regard perplexe, ils m’ont dit que toute leur équipe avait prié pour elle alors qu’elle était amenée en salle d’opération. Cette expérience s’est répétée toute la soirée alors que de nombreux résidents de l’Africa Mercy, avec qui je ne travaille pas et que je n’avais pas rencontrés, m’ont approché pour m’interroger sur Polly et m’assurer qu’ils allaient continuer à prier pour son rétablissement.
Dans les jours qui suivent, leurs prières sont entendues. Polly se trouve dans une unité de soins comptant 12 patients, qui partagent tous une seule grande salle. Les autres patients et familles se rassemblent à son chevet. Les infirmières prennent soin d’elle de façon impeccable, se relayant à ses côtés presque chaque heure pour garder sa plaie propre et sèche. La deuxième journée, on a retiré le drain qui était placé au niveau des fesses de Polly. La troisième journée, c’est sa sonde urinaire qu’on lui a enlevée, et sa vessie a commencé à fonctionner normalement. Aujourd’hui, son plus grand défi est de satisfaire le désir de toutes les infirmières qui veulent la cajoler.
Que faut-il pour voir des centaines de patients comme Polly traités en toute sécurité pour des malformations et de graves anomalies ? Il faut faire du dépistage à travers le pays hôte, associer le patient au bon chirurgien, transporter le patient et sa mère vers la ville portuaire, faire les examens d’imagerie nécessaires, héberger le patient dans la ville portuaire pendant plusieurs semaines en attendant l’arrivée du chirurgien, assigner les responsabilités pour traiter le cas de façon sécuritaire, prodiguer d’excellents soins infirmiers et compter sur une communauté de 420 membres d’équipage provenant de 36 pays pour soutenir la mission dans la foi et la prière. Il faut un navire de l’espoir, il faut Mercy Ships. (Photo gauche : Polly avec Deborah, son infirmière française, 5 jours après l’opération).
Le docteur Sherif Emil est chirurgien pédiatre et directeur de la division de chirurgie thoracique et de chirurgie générale pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Pendant 2 semaines, il fera partie de l’équipage bénévole de l’Africa Mercy, amarré en ce moment à Tamatave, Madagascar. L’Africa Mercy est le plus grand navire-hôpital civil au monde qui a pour mission d’apporter espoir et guérison aux dizaines de milliers de populations défavorisées dans le monde.
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