Double choc : un frère et une sœur atteints de la même maladie rare
28 novembre 2018
Un lien génétique amène des chercheurs à faire une découverte en immunologie
Tout a commencé par une fièvre. Pendant deux mois, la température de Thomas Trinh, dix ans, montait et descendait, son corps lui faisait mal et son visage était enflé. Puis, en janvier 2015, sa mère, Year Ny Khut, a senti que quelque chose n’allait vraiment pas. Elle l’a conduit à l’urgence de l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME) où un médecin a remarqué quelques petites ecchymoses sur son dos, ses bras et ses jambes. « Les ecchymoses étaient vraiment petites, de la taille d’un petit ongle environ », se rappelle King Trinh, le père de Thomas. L’hôpital a fait quelques tests et a confirmé le pire : Thomas souffrait d’un type de lymphome.
Une maladie très rare
Le lymphome est une forme de cancer qui touche les lymphocytes, un groupe de cellules du système immunitaire qui luttent contre les infections. La maladie déclenche une mutation et une croissance déréglée des lymphocytes; mais Thomas présentait les signes d’une maladie encore plus rare. « Il a fallu environ un mois à l’équipe pour poser son diagnostic et trouver le traitement approprié, raconte Year Ny. Ses médecins ont dit n’avoir vu que deux cas semblables dans toute leur carrière. » Thomas souffrait d’un lymphome T sous-cutané de type panniculite (LTSCP).
« Nous étions sous le choc, dit Year Ny. Personne dans notre famille n’avait eu de cancer. Est-ce qu’on pouvait le soigner? » À un moment, le visage de Thomas était tellement enflé qu’il pouvait à peine ouvrir les yeux, et ses traitements de chimiothérapie ne fonctionnaient pas. L’équipe d’oncologie de l’HME a suggéré de faire une greffe de moelle osseuse. Toute la famille a subi des tests, et c’est finalement Brandon, le frère aîné de Thomas, qui était le donneur parfait. La greffe a été un succès, et peu à peu, Thomas a commencé à se sentir de nouveau lui-même. « Nous étions tellement heureux de mettre tout ça dernière nous », rapporte Ny. Malheureusement, ce soulagement allait être de bien courte durée.
Une histoire qui se répète
Un an après le diagnostic de Thomas, sa jeune sœur Meagan a commencé à se plaindre d’un œil enflé. « L’un de ses yeux était rouge et gonflé, mais on ne pensait pas que c’était grave. Nous l’avons amené voir l’ophtalmologiste pour avoir des gouttes », dit son père. Puis, un mois plus tard, la température de Meagan a commencé à fluctuer, et elle a remarqué quelque chose d’étrange sur sa jambe – une petite ecchymose. « Mon cœur s’est arrêté quand elle me l’a montrée, se rappelle Year Ny. Elle avait exactement la même allure que celles qu’avait eues Thomas. Je n’arrivais pas à y croire. » Les parents ont insisté pour que les médecins fassent une biopsie à Meagan, et étonnamment, ils ont reçu le même diagnostic : lymphome T sous-cutané de type panniculite.
« Comment cette maladie si rare pouvait-elle toucher deux personnes d’une même famille dans la même année? », demande King. « Pourquoi cela nous arrive-t-il à nous, et pire, à eux? » Les hémato-oncologues pédiatres, Dre Sharon Abish et Dr David Mitchell, ont commencé à penser que cette maladie pouvait être d’origine génétique. Ils ont pris contact avec leur collègue Dre Nada Jabado, hémato-oncologue à l’HME et chercheuse à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill. On a vite découvert que Year Ny et King étaient tous les deux porteurs d’une mutation d’un gène appelé HAVCR2, et qu’ils l’avaient transmis à Thomas et Meagan, mais pas à leur fils Brandon.
Nouvelle découverte en immunologie
Des chercheurs ont confirmé que la mutation empêchait une protéine, connue sous le nom de TIM-3, de fonctionner correctement. TIM-3 est une protéine importante, parce qu’elle aide à réguler le système immunitaire et l’empêche d’entrer en suractivité. Quand la protéine est supprimée ou inactive, le système immunitaire devient complètement déréglé, et les lymphocytes T sont suractivés de façon incontrôlée, ce qui entraîne une forme rare de lymphome.
Quand la Dre Jabado a commencé à discuter de ce cas avec des collègues en Australie et en France, ils se sont rendu compte qu’eux aussi avaient des cas similaires de patients avec la même mutation, pour la plupart de descendance est-asiatique ou polynésienne. Ils ont aussi découvert une autre mutation, sur le même gène, chez des patients d’origine européenne. En tout, ce sont 17 patients adultes et enfants qui ont été identifiés. Leurs résultats ont fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique Nature Genetics.
Dans la plupart des pays, les cas de lymphome sont traités comme des cancers, bien qu’il s’agisse en réalité de réponses intensifiées du système immunitaire. « Nous cherchons maintenant à utiliser la protéine TIM-3 comme cible dans les traitements immunosuppresseurs afin de déclencher des réponses immunitaires intensifiées chez certains patients atteints de cancer, explique la Dre Jabado. Nous espérons ainsi obtenir de meilleurs résultats et moins d’effets secondaires qu’avec les chimiothérapies cytotoxiques. »
Des chercheurs tentent à présent de voir si des patients atteints de maladies auto-immunes comme le lupus (une maladie dans laquelle le système immunitaire se retourne contre l’organisme) n’auraient pas de dysfonctionnement au niveau de la protéine TIM-3. Cela pourrait donner lieu à des traitements plus efficaces contre différents types de cancer, la sclérose en plaques ainsi que des maladies infectieuses comme le VIH ou le paludisme.
« Notre famille a traversé beaucoup d’épreuves ces dernières années, mais nous sommes ravis de savoir que ces résultats pourront aider bien d’autres personnes, dit King. Tout cela n’est pas arrivé sans raison. »