Le don du son
9 Décembre 2015
Alors que Karina Théorêt était encore toute petite, ses parents Stacey Hoirch et François Théorêt ont remarqué que son langage n’était pas au même niveau que celui des autres enfants de son âge. Le pédiatre de Karina les a rassurés en leur disant que c’était probablement parce qu’elle grandissait dans un milieu bilingue, et que les enfants dans son cas mettaient souvent plus de temps à parler. Mais au bout d’un moment, ses parents ont commencé à s’inquiéter, convaincus que quelque chose n’allait pas.
À l’âge de trois ans, Karina a été dirigée vers le département d’oto-rhino-laryngologie de l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME). Les médecins ont confirmé qu’elle présentait une perte auditive de l’oreille droite. Malheureusement, il n’y avait pas moyen de rétablir son audition. « Ce n’était pas une bonne nouvelle, mais nous étions rassurés de savoir quel était le problème », explique sa mère, Stacey.
Il n’y a pas de surdité dans la famille Hoirch-Théorêt et la famille s’est soumise à toute une batterie de tests génétiques pour découvrir la cause de la surdité de Karina; mais les résultats sont tous revenus assez peu concluants. Dès le début, la famille a décidé de ne pas traiter Karina différemment et de la laisser mener sa vie le plus normalement possible. « J’ai commencé à me rendre compte que j’étais partiellement sourde quand je suis entrée à l’école élémentaire, dit Karina. Mais ça ne m’a pas dérangé, parce que j’ai pensé que ça me rendait spéciale et différente. »
Karina a commencé à faire de la natation de compétition et elle excellait à l’école. Déjà enfant, elle montrait un intérêt pour les études de médecine et elle pouvait passer des heures à lire un ouvrage médical sur l’appareil digestif. « Je ne pouvais pas le lâcher », dit-elle en riant. « J’ai même regardé des vidéos d’opérations sur YouTube, et j’ai commencé à penser à devenir chirurgienne. » Même si l’école ne posait pas de problème à Karina, la présence en classe entraînait tout de même quelques frustrations. « Je devais toujours penser au meilleur endroit où m’asseoir pour m’assurer de bien entendre, dit-elle. Ou, je devais dire à mes amis de se placer sur mon bon côté; autrement, je passais mon temps à leur demander de répéter, parfois jusqu’à trois fois avant de comprendre. »
Quand Karina a eu 15 ans, sa mère a décidé de prendre un dernier rendez-vous à l’HME avant qu’elle devienne adulte. Elles ont alors rencontré l’audiologiste Anne-Marie Forget, qui leur a expliqué qu’il existait maintenant différents types de technologies sur le marché comparativement à ce qui était disponible il y a une dizaine d’années. Elle leur a présenté quelques options et a pris rendez-vous pour Karina avec le Dr Sam Daniel, directeur du service d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale à l’HME.
Tous ignoraient que le Dr Daniel venait d’assister à une conférence où il avait découvert une nouvelle technique appelée « intervention Ponto à effraction minimale », ou MIPS selon l’acronyme anglais. Après avoir rencontré Karina, il s’est dit qu’elle serait une candidate idéale pour cette technique. « L’intervention a été évaluée en Europe, mais c’est la première fois qu’elle est pratiquée en Amérique du Nord », dit le Dr Daniel.
La technique MIPS est conçue de manière à minimiser les complications pendant et après l’opération, et elle ne laisse aucune cicatrice, puisqu’il s’agit d’une opération sans suture. L’implant cochléaire en conduction osseuse est placé à 50 mm du canal auditif et est pratiquement invisible à la naissance des cheveux. L’intervention de 10 minutes ne nécessite qu’une anesthésie locale et le patient peut rentrer à la maison le jour même. « Pendant l’intervention, le patient peut ressentir une certaine pression ou des vibrations similaires à celles d’une brosse à dents électrique, mais aucune douleur », précise le Dr Daniel.
Karina a été opérée le 18 novembre, et elle était tout excitée d’être éveillée pendant l’opération. « J’ai pu voir l’intérieur d’une salle d’opération pour la première fois de ma vie, dit-elle. C’était passionnant. Je me suis sentie comme dans la série “Dre Grey, leçons d’anatomie” ». Pendant l’opération, le Dr Daniel a fait un petit trou sur le côté de la tête de Karina, puis il a inséré une vis dans son crâne. Au cours du prochain mois, la vis va fusionner avec l’os et les médecins pourront terminer l’intervention en y fixant un petit microphone externe qui transportera les vibrations à travers l’implant et le long de son crâne. « Elle pourra alors capter et traiter les sons par son oreille gauche », explique le Dr Daniel.
Stacey et François sont très fiers de leur fille et de sa décision de subir l’opération. « Karina a lu tout ce qu’elle a trouvé sur cette intervention et elle a pris la décision de recevoir l’implant, expliquent-ils. Nous ne pouvons pas imaginer ce qu’on peut ressentir quand le silence fait place au son. » Évidemment, l’opération veut aussi dire que certaines choses vont changer dans la maison pour Karina. « Je suppose que je ne pourrai plus utiliser ma surdité comme excuse pour me sauver des corvées », déclare-t-elle en riant.