De 500 crises par jour à zéro grâce à une alimentation riche en gras

De 500 crises par jour à zéro grâce à une alimentation riche en gras

23 novembre 2017

Le 29 août 2013 a débuté comme tous les autres jours pour Linda Florio. Elle a déposé sa fille de 2 ½ ans Tiana à la garderie, avant de se diriger vers la nouvelle école de sa fille aînée Giada, dont c’était la première journée de maternelle. Après l’avoir déposée à l’école, Linda s’est rendue chez le dentiste, et c’est sur le chemin du retour à la maison qu’elle a reçu l’appel qui a changé sa vie à tout jamais.  

Alors que Tiana était sur le petit pot, en plein apprentissage de la propreté, elle est tombée et s’est frappé la tête. Les éducatrices ont appelé Linda en panique parce que Tiana ne réagissait plus. « Elle a vite été conduite à l’urgence de l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME) parce que je pensais qu’elle avait une grave commotion », explique Linda. Mais ce n’était pas une commotion cérébrale. C’était bien pire.

De mal en pis

Une fois à l’HME, l’équipe de l’urgence a procédé à quelques examens, et à première vue, tout semblait normal. Puis tout à coup, Tiana a été saisie de convulsions dans la salle de trauma et on l’a transférée à l’unité de soins intensifs pédiatriques (USIP). « Elle a été prise d’une forte fièvre et ils ont pensé qu’elle avait peut-être une méningite », se rappelle Linda. Puis, au cours de la journée, Tiana a commencé à avoir d’autres symptômes. Elle est devenue très agressive. Elle a arrêté de marcher et de parler. Puis sont apparus ces mouvements anormaux autour de sa bouche.

Quelques jours après, son neurologue le Dr Bradley Osterman, alors résident en neurologie, a diagnostiqué une encéphalite à anticorps antirécepteurs NMDA, une maladie neurologique auto-immune grave et très rare. Pour couronner le tout, elle a développé une épilepsie sévère, aussi appelée épilepsie réfractaire secondaire. « Ce type d’encéphalite attaque le cerveau et interrompt le développement normal », explique le Dr Osterman, neurologue pédiatre qui travaille aujourd’hui au Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL) à Québec. « Dans le cas de Tiana, il y avait tellement de décharges épileptiques dans son cerveau, que ce dernier a tout simplement cessé de fonctionner et elle s’est retrouvée dans un état végétatif. » 

La famille a passé plus de sept mois à l’USIP tandis que l’équipe de neurologie de l’HME essayait différents traitements et médicaments. Au début, Tiana a été traitée à l’aide de stéroïdes, qui semblaient bien fonctionner, mais qu’il a fallu arrêter quand elle a développé une grave pneumonie. « On ne pouvait pas la remettre aux stéroïdes à cause de la pneumonie, alors on a essayé d’autres avenues, mais rien ne fonctionnait, rapporte le Dr Osterman. Cette maladie et ces crises convulsives peuvent souvent être contrôlées avec des médicaments, mais pas dans le cas de Tiana. Sa situation était vraiment très grave. »

Penser autrement!

À ce moment, Tiana était encore dans un état de conscience minimal, et elle pouvait avoir jusqu’à 500 crises par jour. « Elle était dans un monde bien à elle. Une bombe aurait pu éclater qu’elle n’en aurait rien su », rapporte Linda. Le Dr Osterman n’avait jamais rien vu de tel, en particulier chez une enfant si jeune. Entre janvier et mars 2014, Tiana a reçu trois cycles de chimiothérapie, le Dr Osterman essayant de détruire ses cellules T afin de neutraliser les anticorps qui attaquaient son cerveau. « Elle a recommencé à marcher avec un déambulateur, mais elle avait encore des crises de convulsion, raconte sa mère. Nous étions tellement fatigués d’être à l’hôpital. Je ne pouvais pas accepter l’idée d’y passer un autre Noël ou un autre anniversaire. »  

Finalement, les médecins de Tiana ont pu lui donner son congé, mais elle a continué à venir à l’hôpital chaque mois pour sa chimiothérapie et des rendez-vous de suivi avec le Dr Osterman, qui continuait à suivre de près son épilepsie. « Elle n’avait toujours pas retrouvé l’usage de la parole et ne se développait pas normalement; alors j’ai décidé de tenter quelque chose de totalement différent. » En tant que spécialiste de l’épilepsie, le Dr Osterman avait, à certaines occasions, proposé le régime cétogène comme traitement à des enfants chez qui l’épilepsie était difficile à contrôler. « Ce régime n’est pas pour tout le monde, mais il a aidé plusieurs de mes patients par le passé. Il n’avait jamais été utilisé chez un patient atteint de la maladie auto-immune qui touchait Tiana, mais il était temps de faire preuve d’imagination, dit-il. »  Linda et son mari, Jason, hésitaient au début, mais n’ayant rien à perdre, ils ont décidé de l’essayer.

Le régime cétogène

En février 2016, on a hospitalisé Tiana et on a commencé le régime. « Quand un patient est soumis au régime cétogène, nous l’hospitalisons pendant quatre jours, parce que c’est un choc pour le système », explique Marie-Josée Trempe, nutritionniste à l’Hôpital de Montréal pour enfants. « Son taux de sucre peut chuter de manière draconienne. » Le régime cétogène existe depuis les années 1920 et il est utilisé principalement avec les patients épileptiques qui ne répondent pas aux médicaments. Le régime est très riche en matières grasses, et n’inclut que peu de fruits et légumes. « Nous complétons avec beaucoup de vitamines pour que le patient ait tous les nutriments dont il a besoin », souligne Marie-Josée.

En temps normal, le corps utilise le glucose des glucides pour produire de l’énergie, mais chez les enfants soumis à un régime cétogène, le corps se sert plutôt les matières grasses. « Quand le corps utilise des matières grasses pour produire de l’énergie, il produit des substances chimiques appelées cétones. Ces substances fournissent au cerveau un carburant différent qui, pour une raison quelconque, aide à diminuer les crises d’épilepsie chez certaines personnes », explique Marie-Josée. Le patient mange suffisamment de protéines pour garder les muscles fonctionnels, mais les sucres sont très limités, parce qu’un simple haricot vert de trop peut provoquer une autre crise.

Chaque régime est taillé sur mesure pour le patient, et Marie-Josée travaille étroitement avec les familles pour s’assurer qu’elles sont à l’aise avec le processus. Tout ce que le patient consomme doit être mesuré, et le rapport entre les matières grasses, les protéines et les glucides doit être absolument précis. « C’était tout un défi au début, parce que Tiana est sur la version la plus stricte du régime », dit Linda. Elle doit manger trois repas par jour, plus deux collations, et chaque repas doit avoir un ratio de quatre grammes de gras pour un gramme de protéines/glucides.

Un repas typique se compose normalement de quatre aliments : de la crème fouettée épaisse, une protéine de la taille d’une balle de golf, une petite portion de légumes (environ 5 haricots verts) ou un petit morceau de fruit (la moitié d’une fraise) et une grosse portion de beurre. « Le repas préféré de Tiana se compose de hot-dogs de porc naturel trempés dans du ketchup sans sucre avec une petite portion de légumes et beaucoup de mayonnaise, d’huile d’olive et de crème, raconte Linda. Elle adore manger ça pour le dîner! » Les parents d’enfants qui suivent un régime cétogène s’échangent souvent des recettes, mais Linda avoue que c’est difficile de savoir avec certitude si les ratios conviennent. Elle consulte le site web ketodietcalculation.org pour s’aider à calculer les ratios en fonction des grammes qu’elle entre. « Il existe des ressources, mais elles sont limitées », admet-elle.

Les patients sont suivis de près pour s’assurer que leurs os, leur cœur et leurs reins fonctionnent correctement; et le régime est abandonné uniquement quand leurs crises ont cessé ou que leur état est bien contrôlé. La plupart des enfants suivent ce régime pendant deux ou trois ans, mais certains peuvent s’y soumettre pendant dix ans. Dépendant de la cause de l’épilepsie, le patient peut parfois arrêter de prendre ses médicaments antiépileptiques et les crises cessent indéfiniment, mais les scientifiques ne savent pas encore pourquoi il en est ainsi.

Marcher, parler et rire de nouveau

Après quatre semaines de ce régime, Linda a observé un grand changement chez Tiana. Elle était devenue plus alerte, elle n’avait plus de convulsions et elle redevenait peu à peu elle-même. « Même sa peau et ses cheveux avaient meilleure allure, dit-elle. Nous commencions à retrouver notre petite fille. » Le Dr Osterman était renversé de voir à quel point son cerveau était calme à l’électroencéphalographie. Au cours de la dernière année, Tiana a progressé rapidement. « Elle se développe de nouveau comme une enfant normale, dit-il. En fait, au cours des 12 derniers mois, elle a progressé de 12 mois. J’espérais que ce régime fonctionne, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il fonctionne aussi bien. » Tiana peut maintenant marcher, parler et rire de nouveau. Elle n’a pas eu de crise d’épilepsie depuis un an, et ses médecins pensent qu’elle devrait se rétablir à 75 à 100 %. « Elle a le vocabulaire d’un enfant de trois ans, mais elle est de retour à son niveau de référence », dit sa mère.

Aujourd’hui âgée de six ans, Tiana est encore suivie régulièrement par son médecin traitant, la Dre Annie Sbrocchi, endocrinologue pédiatre au Service de soins complexes de l’HME. Et tous les six mois, elle et ses parents vont voir le Dr Osterman à Québec. Son équipe de soins à l’HME surveille ses analyses sanguines, ses signes vitaux, sa taille et son poids chaque mois pour s’assurer qu’elle grandit et se développe correctement. « C’est une fillette totalement différente. Elle ne regardait pas dans les yeux, ne parlait pas et ne pointait pas du doigt, mais maintenant, elle rit, elle vous répond et elle fait plein de câlins, dit la Dre Sbrocchi. C’est incroyable de voir tout le chemin parcouru. »  

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